Camille Nemitz-Piguet est cheffe de clinique scientifique à l’Université de Genève et aux Hôpitaux universitaires de Genève. Elle a reçu pendant deux ans une bourse de clinicienne chercheuse du Pôle de recherche national Synapsy. Psychiatre, elle travaille actuellement à l’Unité Santé Jeunes des HUG, tout en poursuivant différents projets de recherche sur la régulation émotionnelle chez les jeunes.

Pour Camille Nemitz-Piguet, il ne faut pas voir les troubles anxieux et la santé mentale de manière binaire, en disant « soit on est malade, soit on ne l’est pas ». La santé mentale, c’est un continuum, parfois on va mal et on est très anxieux, parfois tout va pour le mieux. Tout le monde a plus ou moins de stress à gérer selon les périodes de sa vie, même s’il est vrai qu’on ne présente pas toutes et tous les mêmes vulnérabilités.

La pandémie de Covid-19 a globalement eu un impact négatif sur la santé mentale de la population. Le bon côté est que l’on parle désormais davantage de santé mentale et que ce sujet occupe désormais plus le devant de la scène.

L’anxiété touche 20 à 30% des jeunes. Pour aider les auditeurs∙rices de « Toi aussi ? » à mieux se connaître, à mieux identifier leur stress, à mieux comprendre leur fonctionnement et à éviter les situations de trop-plein, nous avons eu le plaisir de dialoguer avec la clinicienne chercheuse Camille Nemitz-Piguet. Nous vous livrons ci-après ses explications et son message : « L’important, c’est le ressenti de la personne. »

L’anxiété, c’est quoi ?

« L’anxiété est la peur d’une menace. Cette peur peut être là pour une bonne raison ou non. C’est une émotion utile pour éviter, par exemple, des rencontres avec des tigres. Mais la peur est aussi utile dans la vie de tous les jours, puisqu’elle signale un danger. Un stress vient donc perturber l’homéostasie d’une personne, autrement dit : son équilibre intérieur. Cependant, dans le cas des troubles anxieux, l’intensité de la peur est trop grande, disproportionnée. Les troubles anxieux sont en quelque sorte un mauvais dosage de la peur. Souvent, c’est la représentation complexe, l’imaginaire qu’une personne se fait d’une situation, qui est angoissante, plutôt que la menace objective. 

Être très consciencieux·se par exemple, aimer réaliser les choses correctement, c’est positif même si cela va souvent de pair avec une certaine anxiété. Lorsque cette qualité est poussée à son extrême, elle peut avoir des conséquences négatives sur la santé mentale. À ce moment-là, les personnes atteintes de troubles anxieux réagissent comme s’il y avait un danger imminent, une menace pour leur organisme, alors que ce n’est pas le cas. »

Comment se manifeste-t-elle ?

« De plein de manières différentes d’une personne à l’autre. L’anxiété peut se traduire par des maux de ventre, les battements du cœur qui accélèrent, les mains moites, une sensation de peine à respirer, etc. Elle peut aussi conduire à l’évanouissement à l’extrême, comme dans le témoignage de Fanny. C’est dans le cadre de ce qu’on appelle des « attaques de panique », aussi souvent appelées « des crises d’angoisse ». Lors d’un stress, d’une menace, le système nerveux réagit très vite, mobilise des ressources, de l’adrénaline puis du cortisol circulent. Cela explique une grande partie des symptômes ressentis, mais si on ne le sait pas, cela peut empirer la sensation de perte de contrôle, les pensées incontrôlables, jusqu’à avoir l’impression que l’on va mourir ou qu’on devient fou. »

Pour l’anxiété, cela peut aller jusqu’à la décompensation, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que c’est ?

« La décompensation, je dirai que c’est lorsque les manifestations de l’anxiété prennent trop de place et deviennent insupportables dans la vie d’une personne. Les répercussions sur le sommeil, sur la concentration, le fait d’éviter beaucoup de situations, de perdre du temps à cause de ce type de pensées, amènent facilement à un cercle vicieux qui renforce cela. Lorsque cela s’accumule, on peut avoir des attaques de panique, décrocher de l’école, se replier sur soi ou développer des addictions. »

Des chiffres disent que les troubles anxieux affectent au moins une fois dans leur vie 25% des femmes et 15% des hommes. Alors, c’est dans les gènes ou le résultat d’effets sociaux ?

« La recherche tente encore de répondre à cette question, sachant qu’il est socialement probablement plus difficile encore pour les hommes de parler d’anxiété. Mais ce ne sont pas tellement ces chiffres qui sont importants. L’essentiel est de légitimer ce que les gens ressentent. On peut être anxieux·se sans raison apparente. Dans l’exemple de votre deuxième épisode, Fanny soulève la pression qui pèse sur les étudiant∙e∙s pendant leur cursus et vis-à-vis de la vie professionnelle. Avertir les jeunes en études qu’ils doivent se préparer à être surchargés plus tard est un message contradictoire qui devrait être évité. Mais le rythme de notre société est effectivement stressant… »


Est-ce qu’il y a des prédispositions aux troubles anxieux ?

« Les chercheurs pensent qu’il y a quelques prédispositions oui, à des degrés divers selon les troubles. Un terrain génétique peut influencer le développement de troubles anxieux, mais la part environnementale est importante aussi. Il faut aussi réussir à faire la part des choses entre anxiété et dépression, qui vont souvent ensemble. En effet, à force de vivre dans l’anxiété, on peut tendre vers la dépression. Si une personne reste dans une boucle d’anxiété, elle peut avoir l’impression de ne pas y arriver, comme Fanny lorsqu’elle parle de la culpabilité qu’elle ressent. À l’inverse, lorsqu’on est déprimé·e, on devient aussi plus sensible, plus anxieux·se par rapport à ce qui nous entoure. Mais la plupart des troubles psychiques s’accompagnent d’anxiété.»

Lors d’anxiété, que se passe-t-il dans le cerveau ?

« Lorsqu’on est soumis à un stress, l’organisme réagit très rapidement. De manière inconsciente, il détecte qu’il y a quelque chose de menaçant. Dans diverses régions du cerveau comme l’amygdale ou l’hypothalamus, des signaux s’échappent et se diffusent dans tout le corps, qui se met en état d’alerte. Une cascade d’événements démarre, jusqu’aux glandes surrénales, qui libère de l’adrénaline et active des cellules qui vont accélérer le rythme cardiaque, avoir une action sur la transpiration, etc. Le corps à ce moment-là mobilise toutes ses forces pour répondre à ce stress, que ce soit pour le combat ou la fuite, théoriquement. Beaucoup de cortisol – l’hormone du stress – est libéré. Le corps puise dans les réserves énergétiques pour répondre au stress, mais si c’est chronique il peut aussi affaiblir le système immunitaire à force. On peut ainsi faire un lien entre anxiété et symptômes somatiques, donc l’effet que le stress a sur notre santé physique. »

Quel est le moment déclencheur pour se prendre en main ?

« Souvent, le moment déclencheur arrive tard dans le processus. Se renseigner sur les facteurs de risque et savoir que les troubles anxieux existent est important. S’écouter avec bienveillance aussi. En somme, il faut s’intéresser à sa santé mentale autant qu’à sa santé physique. L’une et l’autre sont importantes dans une évaluation globale de la santé d’une personne. »

Comment entretenir sa santé mentale ?

« L’hygiène de vie passe par une alimentation saine, la pratique d’un sport souvent, un bon sommeil et éviter de consommer des substances. C’est ce qu’on appelle les facteurs environnementaux. Le soutien social joue aussi un grand rôle, savoir s’entourer, ne pas rester isolé·e. On donne souvent l’exemple d’un vase qui se remplit petit à petit et qui, à un moment donné, déborde. Avec l’expérience, une personne peut mieux évaluer son niveau de stress, savoir ce qui remplit « son vase » et ce qui le vide. Beaucoup de gens peuvent surmonter le stress lorsqu’ils trouvent du sens auprès de leur famille, de leurs relations, dans leurs études, leur travail ou des activités de bénévolat. Connaître ses vulnérabilités, selon les périodes de sa vie, aide à préserver sa santé mentale. Donc apprendre à se connaître et à reconnaître ses émotions est central. »

Est-il possible de se rétablir des troubles anxieux ?

« Deux voies principales sont utilisées pour traiter les troubles anxieux : les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et la médication. La TCC est utilisée pour traiter l’anxiété légère à moyenne, lorsque l’anxiété s’installe avec de fausses représentations, de fausses idées sur la réalité, comme percevoir une menace là où il n’y en a pas. Les gens font appel à ce stade à ce que l’on appelle des stratégies d’évitement. Ils évitent les situations stressantes. À court terme, c’est normal, cela permet de se sentir mieux. Mais à moyen terme, c’est handicapant, cela peut empêcher par exemple de prendre les transports publics, d’aller en cours, etc. Avec les TCC, on essaie de déconstruire les schémas dans lesquels on se retrouve pour reprendre confiance progressivement. La médication, le plus souvent des anti-dépresseurs, quant à elle augmente le taux de sérotonine pour diminuer le seuil global de l’anxiété. La sérotonine est un neurotransmetteur qui facilite la communication entre les neurones. Les benzodiazépines comme le temesta ou le xanax sont aussi utilisés, mais de manière plus ponctuelle.

Au-delà de ces deux approches basées sur des évidences scientifiques, il y a toute une série de thérapies complémentaires à considérer également. Il y a par exemple l’hypnose, la méditation de pleine conscience, ou simplement avoir une activité sportive. Je pense qu’il y a encore beaucoup à faire pour développer une approche intégrative dans ce domaine. »

C’est quoi la méditation de pleine conscience? Découvrez la vidéo des HUG.

Que pouvez-vous dire des solutions de prise en charge en général ?

« Il existe une telle diversité de pratiques et de conceptualisation que souvent les personnes atteintes de troubles anxieux ont besoin de quelques étapes pour trouver la pratique qui leur convient, en fonction de la gravité de la situation notamment. C’est normal de ne pas toujours tomber du premier coup sur une pratique ou sur quelqu’un avec qui on se sent bien. Parfois une pratique nous convient à un moment de notre vie et pas à un autre. C’est tout à fait ok. Ce qui l’est moins c’est que, vu que la santé mentale reste un tabou, les gens ont tendance à vouloir s’en sortir tout seuls, et parfois c’est trop tard lorsqu’ils réagissent. Il faut plus parler de santé mentale pour que le réflexe de s’entourer arrive plus vite. »